le Président Christian RUDLOFF

Paris le 10 juin 2015

Jacques BIDALOU

Magistrat honoraire

à

  1. le Président Christian RUDLOFF

Chambre 3-6 de la Cour d’appel de Paris

OBJET : Du sort des enfants Harry et Williams T.

Ref. : l’arrêt rendu le 9 juin 2015 ( 15§09103)

J’ai été heureux de pouvoir faire votre connaissance à l’occasion de cette douloureuse affaire de placement inutile pour ne pas dire abusif des enfants de Mme O. , puisque trop habitué depuis trente ans, dans la défense de mes droits statutaires de magistrat , à me confronter à une institution judiciaire conflictuelle sinon hostile, j’ai apprécié vos remarquables qualités humaines dans l’exercice de vos compétences professionnelles, et j’ajoute que pour avoir rencontré à mon détriment les limites du Syndicat de la magistrature auquel j’appartenais, j’ai mieux compris pourquoi le syndicat FO-Magistrats que vous avez un temps animé avec votre épouse a pu apporter un nouveau dynamisme dans la magistrature française.

Je dois revenir cependant sur cet arrêt du 9 juin 2015 rendu à la suite des débats de l’audience du 2 juin 2015.

D’abord pour préciser que le ministère public n’a pas soulevé l’irrecevabilité de mon intervention volontaire puisque sur votre interrogation, Mme l’Avocate générale TOULEMONDE a dit : « je m’en rapporte » !

Ce n’est pas la même chose.

Je peux certes regretter que Mme l’Avocate générale se soit jointe aux conclusions des trois avocates présentes pour demander qu’il soit statué d’abord sur la recevabilité de l’opposition avant que de statuer sur le sort des QPC… entendre,avant d’évacuer les QPC !

Cela reste pour moi étonnant et d’ailleurs consternant que le Peuple Constituant ( avec l’article 61-1 de la Constitution) et le Législateur organique aient pu prescrire la QPC comme « moyen prioritaire » , et que la magistrature française veuille persister à rejeter systématiquement ces QPC hors du débat judiciaire.

Les deux QPC soulevées en la cause par Mme O. ( et moi-même) étaient des moyens de fond propres justement à faire admettre la recevabilité de l’opposition ! Mais si les juges persistent à maintenir leurs habitudes en matière d’examen des moyens, alors c’est toujours une « question prioritaire de procédure » qui s’impose dans le débat , et le droit nouveau constitutionnellement garanti que le Peuple Constituant a voulu conférer au justiciable ne peut plus que s’avérer vain.

Au demeurant, je relève que votre arrêt du 9 juin 2015 a cru devoir opposer à la première QPC soulevé par mémoire distinct et motivé du 20 mai 2015, qu’elle était sans indication de la question posée ( sic). Outre le fait que cette critique surprenante de l’avocate de M. T. n’était pas reprise par l’avocate du Président du Conseil Général des Alpes Maritimes qui avait su parfaitement délimiter cette question, je dois vous renvoyer à ce mémoire qui porte exactement :

« C’est porter atteinte aux droits fondamentaux de l’enfant tels que garantis par l’article 16 de la Déclaration des droits du 26 août 1789 et le droit d’accès à la justice pour un recours effectif permettant d’en appeler à la protection juridictionnelle de l’Etat que de dénier la qualité de partie au procès à l’enfant mineur quand il est dans le même temps posé la garantie de son droit à être entendu sur sa demande par les juges appelés à statuer sur sa vie sociale, affective, familiale, psychique, scolaire. Et elle est donc sérieuse et elle justifie sa transmission à la Cour de Cassation la question mettant en cause l’inconstitutionnalité de l’article 388-1 alinéa 3 du code civil au regard des droits et libertés garantis par la Constitution tels que ci-dessus rappelés. Par ces Motifs, Plaise à la Cour, Statuer prioritairement sur le présent moyen de fond ».

Non seulement cette QPC était très nettement posée mais elle était tout fait déterminante… car si l’enfant mineur est partie à la procédure, dès lors qu’il n’a été ni présent ni représenté dans les débats des audiences du 26 mars 2015, du 28 mai 2015,  du 2 juin 2015, qu’est-il donc sinon une partie défaillante, particulièrement fondée à former opposition aux arrêts du 17 avril 2015 et du 2 juin 2015 !

Quant à la deuxième QPC soulevée par mémoire du 28 mai 2015 et visant à contester la jurisprudence de la Cour de Cassation qui a pu trancher la question de décision contradictoire par la seule présence de la partie intéressée aux débats d’audience, en mettant en cause l’absence de disposition législative « intermédiaire » entre l’a.6-1 de la Convention et les dispositions règlementaires du code de procédure civile, elle était également de nature à faire admettre la recevabilité de l’opposition de Mme O. , avec de surcroît le mérite d’exposer comment l’ordonnance de suspension du 17 décembre 2014 a pu déchaîner une « contre-attaque » aussi illégale que mensongère de la part du « gang des ravisseurs des alpes –maritimes ». Ce constat demeure dans toute sa véritable portée… c’est-à-dire , il faut l’espérer, la mise en mouvement et l’exercice rigoureux de l’action publique, car il doit être mis fin à cette manipulation des juges par la présentation de rapports mensongers alarmistes visant à mettre en jeu « le principe de précaution », au nom duquel le pire est alors admis. … C’est ce qui s’est passé le 17 avril dernier , malheureusement.

Pour le reste, je constate que dans sa composition, votre juridiction , à l’inverse de celle qui a statué le 17 avril 2015, n’a pas méconnu l’existence de l’alinéa 2 de l’article 361 du CPC, mais il ne suffit pas de dire que la Cour n’a pas été informée d’une quelconque décision de la première présidente, il me semble que votre Cour devait légalement attendre cette décision avant de poursuivre l’instruction de la cause.

Quant à « l’irrecevabilité manifeste de l’action du demandeur à l’aide judiciaire » qui permettrait à la Cour de passer outre la demande d’aide judiciaire dont elle a été informée, elle n’est manifeste que si le parti a été pris de ne pas tenir compte des moyens de fond prioritaires visant à faire admettre la recevabilité de l’opposition, et c’est donc à bon compte faire prévaloir l’arbitraire des juges sur la volonté du législateur de faire prévaloir les garanties d’accès à la justice pour tout justiciable.

Deux enfants de père français et de mère japonaise, c’était une chance pour la France à l’heure de la mondialisation des échanges et alors même que le Japon est une puissance économique supérieure à la France… mais quel est le résultat aujourd’hui : deux enfants privés de l’étude de la langue japonaise, et à qui il est répété que la culture japonaise, tout ce qui est japonais, c’est mal, et que c’est ce qui explique leur placement … c’est du moins ce que leur disait l’individu venant s’installer dans leur douche au foyer La Parenthèse … ce foyer qui fonde sa publicité sur l’accueil des fratries… et qui a pourtant décidé de séparer les deux frères Harry et Williams… alors même que je découvre l’article 371-5 du code civil : « l’enfant ne doit pas être séparé de ses frères et sœurs…  »

Bref, votre volonté de « calmer le jeu » ne saurait être qu’approuvée… sauf que si je félicite de la convivialité que vous avez su instaurer, il demeure regrettable que les « magistrats délégués à la protection de l’enfance » qui ont délibéré le 9 juin 2015 aient négligé la question essentielle de l’audition de l’enfant Harry , qui est la question centrale du droit de l’enfant à être admis comme partie à part entière à la procédure d’assistance éducative.

L’arrêt du 9 juin 2015 a précisé que Me GOTTSCHEK-GOUFFRAN était comparante en personne en sa qualité de représentante de l’enfant Williams … sans doute pour mieux faire apparaître que l’enfant Harry , lui, n’avait pas d’avocat !

Il me semble que ni présent, ni représenté, Harry T., né le 9 décembre 2002, conserve le droit de former opposition à cet arrêt du 2 juin 2015…. Et cette opposition ne pourra que souligner qu’il demeure aujourd’hui séquestré, inutilement et sottement séquestré !

Je note d’ailleurs que notre collègue Adeline HAZAN, contrôleure générale des lieux de privation de liberté , vient d’écrire le 8 juin 2015 à Mme   O. qu’elle a régulièrement alerté le Défenseur des Droits…. Je crois qu’il est temps que la Magistrature fasse front contre les intérêts financiers qui règnent sur la politique de placement des enfants et fassent prévaloir enfin la notion centrale de « l’intérêt supérieur de l’enfant », consacrée au plan international et au niveau constitutionnel.

Je vous prie en tout état de cause de bien vouloir agréer mes respectueuses salutations.

https://images.duckduckgo.com/iu/?u=http%3A%2F%2Fwww.jds.fr%2Fmedias%2Fimage%2Fmarteau-juge-tribunal-18982-1200-630.jpg&f=1

Cet article, publié dans Documents juridiques, est tagué , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.

Laisser un commentaire