Audience du 11 juin 2021, CONCLUSIONS POUR LA QPC

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Tribunal Judiciaire de Paris

Audience du 11 juin 2021

Affaire BIDALOU c/ BELLOUBET et A.G.E.

                CONCLUSIONS AU SOUTIEN DE LA QPC              

                            SOULEVEE EN LA CAUSE

   « Est-il compatible et conforme aux droits et libertés garantis par la Constitution—- spécialement par l’article 64 de la Constitution et l’article 16 de la Déclaration des droits du 26 août 1789—- que la loi organique du 22 décembre 1958 portant statut de la Magistrature établisse les dispositions qui règlent la discipline des magistrats en abandonnant à l’incompétence négative la mention des voies de recours contre les décisions emportant sanctions disciplinaires ( soit le pourvoi en cassation tel qu’en vigueur depuis l’arrêt L’ETANG , Conseil d’Etat , 12 juillet 1969, et le recours en révision tel qu’en vigueur depuis l’arrêt SERVAL, Conseil d’Etat , 16 mai 2012). »

Telle est la question prioritaire de constitutionnalité soulevée en la cause.

ET SUR CE :

Il est rappelé ici que dans sa version originale, le Statut de la Magistrature prévoyait que « le conseil de discipline statue à huis-clos. Sa décision , qui doit être motivée, n’est susceptible d’aucun recours » ( article 57).

Cette suppression formelle de toute voie de recours n’a pas dissuadé le Conseil d’Etat de juger qu’en raison de la nature de ses pouvoirs comme d’ailleurs de sa composition et ses règles de procédure, le Conseil Supérieur de la Magistrature statuant comme Conseil de discipline des magistrats du siège a un caractère juridictionnel et relève à raison de la nature des litiges qui lui sont soumis du contrôle de cassation du Conseil d’Etat statuant au contentieux ( arrêt L’ETANG, 12 juillet 1969).

Et il faudra attendre 42 ans et l’arrêt SERVAL du 16 mai 2012 pour que le Conseil d’Etat juge que pour une décision juridictionnelle qui ne relève pas de l’article R 834-1 du Code de Justice Administrative, la voie du recours en révision existe et le recours en révision peut être formé en vertu d’une règle générale de procédure découlant des exigences de la bonne administration de la justice, à l’égard d’une décision passée en force de chose jugée ( dans l’hypothèse où cette décision l’a été sur pièces fausses ou dissimulées).

Il n’en demeure pas moins que le recours en révision formé le 23 avril 1981 par Jacques BIDALOU contre la décision du 8 février 1981 par laquelle le Conseil Supérieur de la Magistrature avait prononcé à huis-clos sa révocation, reste, depuis maintenant quarante ans, maintenu dans le déni de justice, toujours privé d’audiencement, alors même que tout au long de ces quarante années l’intéressé n’a jamais manqué d’alerter les successifs présidents de la République, Gardes des Sceaux, ou membres du CSM, sur l’urgence de lui rendre justice d’une décision de révocation relevant toute entière de l’arbitraire.

Il est pourtant évident que lorsque le premier président SCHMELCK, dans sa réponse du 11 mai 1981, a opposé à Jacques BIDALOU que la procédure de révision n’était prévue par aucun texte, il méconnaissait manifestement « la règle générale de procédure découlant des exigences d’une bonne administration de la justice », qui existait déjà, même s’il faudra attendre jusqu’en 2012 pour que le Conseil d’Etat en tire les justes conséquences et reconnaisse  le recours en révision comme voie de droit pleinement existante.

Il faut d’ailleurs constater ici que le Conseil Constitutionnel , dans sa jurisprudence, n’a pas manqué de consacrer le recours en révision comme une voie de droit emportant recours effectif à la protection juridictionnelle.

Dans sa décision n. 2013-319 QPC du 7 juin 2013, le Conseil Constitutionnel a en effet souligné que l’amnistie et la prescription visent au rétablissement de la paix publique et sociale, que la réhabilitation vise au reclassement du condamné et que la révision vise au respect des principes du procès équitable et à la poursuite de l’objectif de bonne administration de la justice.

C’est assez dire qu’il est indispensable pour tout législateur organique soucieux de légiférer pleinement, de prévoir les dispositions concernant l’amnistie, la presription de l’action publique, la réhabilitation et la révision

EN SUITE DE QUOI :

Il demeure que le législateur organique du 22 décembre 1958, en supprimant l’article 57 qui excluait tout recours contre les

décisions disciplinaires du CSM, a livré à l’incompétence négative la détermination des voies de recours, et qu’une telle incompétence négative ne saurait être que censurée, d’abord par la juridiction de céans, puis par la Cour de Cassation et  le Conseil Constitutionnel .

« La loi doit être également complète et ne rien laisser dans l’ombre de ce qui relève de la compétence exclusive du Parlement . Il y a incompétence négative lorsque le législateur reste en deça de sa mission constitutionnelle ». ( François LUCHAIRE in « Le principe de sécurité juridique » in Cahiers du Conseil Constitutionnel n. 11).

Cette obligation faite au législateur d’exercer complètement la compétence qui lui est dévolue par la Constitution, notamment dans son article 34 sous peine, sinon, de voir sanctionner ce qu’il est convenu d’appeler des « incompétences négatives » alors surtout que l’on se trouve dans le domaine des droits et libertés, résulte d’une jurisprudence bien établie dès la fin des années 60 ( cf. décisions n. 31-DC du 26 janvier 1967 et n° 40-DC du 9 juillet 1970).

IL est clair que force est de constater l’insuffisance du contenu législatif du point de vue de la compétence législative exigée par la Constitution, en ce qui concerne le Statut de la Magistrature tel qu’établi par le Législateur organique du 22 décembre 1958 en application de l’article 64 de la Constitution.

Et cette absence de mention des voies de recours pour les décisions juridictionnelles emportant sanctions disciplinaires contre les magistrats est d’autant plus hautement critiquable que depuis 2015, avec le nouveau site du CSM présenté sur Internet —- « l’architecture de l’ancien étant apparue dépassée » ( sic)—- les Chefs de la Cour de Cassation ( MM. LOUVEL et MARIN) se sont appropriés le droit de « réviser » l’ensemble des décisions disciplinaires prononcées entre 1959 et 2016 par le CSM , sans crainte d’attenter et d’altérer la chose définitivement jugée… près de 300 magistrats se retrouvant ainsi sanctionnés pour le grief de manquement à la probité… qui emporte , de surcroît, prohibition de toute amnistie !

C’est ainsi que depuis tant d’années—- 40 ans, une vie de magistrat !—- Jacques BIDALOU n’a pu obtenir le droit de voir juger son recours en révision du 23 avril 1091 contre la décision de révocation du 8 février 1981… et qu’il peut maintenant découvrir—- avec le nouveau « tableau d’arborescence des décisions disciplinaires »—– qu’il y a tout de même  eu lieu une révision de la décision du 8 février 1981, non par voie juridictionnelle mais par voie administrative, le faisant apparaître comme ayant été sanctionné pour un grief de manquement à la probité, sans crainte de la part des « réviseurs » d’attenter ainsi à un traitement automatisé de données et de falsifier l’autorité de la chose jugée !

Et il serait logique de penser qu’en la cause, l’avocat des parties adverses, qui est l’avocat au long cours de l’Agent Judiciaire de l’Etat, ce qui n’est pas rien, admettra bien volontiers la pertinence de la QPC soulevée en la cause… mais non, l’avocat adverse choisit de dénaturer les termes du litige et d’égarer le cours de la justice, en opposant la compétence du Conseil d’Etat pour dériver ensuite sur la voie de fait telle qu’appréciée par le Tribunal des Conflits !

La partie demanderesse a mis en cause la responsabilité civile de Mme BELLOUBET—- sur le fondement de l’article 1240 du code civil—- pour sa faute personnelle insusceptible de se rattacher au service public, et la responsabilité civile de l’Agent Judiciaire de l’Etat—- sur le fondement de l’article L 141-1 du Code de l’Organisation Judiciaire—- pour le fonctionnement lourdement défectueux de la justice.

Et c’est dans le cadre de cette action en responsabilité civile qu’il a soulevé la Question Prioritaire de Constitutionnalité dont s’agit ici , question parfaitement justifiée dès lors qu’il est clair que le Législateur organique du 22 décembre 1958, en apparaissant silencieux sur les voies de recours, n’a pas exercé complètement la compétence qui lui est dévolue pzr la Constitution.

La partie demanderesse est donc fondée à exercer les dispositions de l’article 61-1 de la Constitution.

ET SUR CE :

Il sera rappelé ici que l’article 61-1 de la Constitution confirme que le Conseil Constitutionnel peut être saisi d’une QPC « lorsqu’à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction », il est soutenu qu’une disposition porte atteinte à la Constitution.

Et dans leur ouvrage classique DALLOZ ( ( 2ème édition, p. 39 et ss.), les constitutionnalistes CARCASSONNE et DUHAMEL s’interrogent sur la question : Qui pose la QPC ?…. avant de répondre : « Tous les justiciables, rien que les justiciables »… puis de préciser : « Tout a changé. Vous, nous, n’importe qui peut désormais être amené à cotoyer le droit constitutionnel comme auparavant le droit civil, le droit commercial ou, pour les moins heureux, le droit pénal. Il va donc bien falloir en faire l’apprentissage, en découvrir le contenu et les ressources, et c’est très bien ainsi puisque l’un des objectifs de la réforme était justement de favoriser une appropriation, par les Français, de leur propre Constitution. Bientôt, il y aura des dizaines de millions de constitutionnalistes, autant que de sélectionneurs de l’équipe de France de football ».

CARCASSONNE et DUHAMEL ont d’ailleurs commencé par s’interroger sur les articles 23-1 et23-5 de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui affirment que le moyen d’inconstitutionnalité « ne peut être soulevé d’office », ce qui doit exclure toute tentation des juges à outrepasser leurs compétences.

ET les auteurs écrivent alors ( page 42) :

« le choix du législateur organique a été plus pragmatique. D’abord il a considéré que la nouvelle procédure tendait à créer un droit subjectif au profit des justiciables, c’est-à-dire un droit qui leur appartiendrait en propre et dont ils pourraient se prévaloir. Ensuite, chaque justiciable peut adopter la stratégie  qu’il souhaite, user ou non des diverses possibilités dont il dispose légalement, privilégier une voie plutôt qu’une autre, toutes choses qui pourraient être compromises si le juge était conduit, en soulevant de lui-même une question de constitutionnalité à s’immiscer dans ces choix… »

Le juge ne saurait s’immiscer dans une compétence que la loi organique n’a déclaré ouverte qu’aux seuls justiciables ( après

que l’ article 61-1 de la Constitution l’ait déclaré ouverte à tous les justiciables.

Mais la partie défenderesse ne saurait davantage s’immiscer dans la compétence exercée par la partie demanderesse pour

redéfinir à sa convenance et suivant son arbitraire une QPC

ouvertement posée et clairement exposée.

Il reste à rappeler que dans l’évolution du droit positif est apparue une juste interrogation sur le fonction de légiférer, avec la consécration de l’obligation de légiférer et même de « bien légiférer » ( cf. Florence GALLETTI ; « Existe-t-il une obligation de bien légiférer ? Propos sur « l’incompétence négative du législateur » dans la jurisprudence du Conseil Constitutionnel », in Revue française de droit constitutionnel, 58, 2004) :

« La sanction de l’incompétence négative, dès lors qu’elle est identifiée par le Conseil Constitutionnel, est moins la cause d’une violation de règle de compétence que la sanction d’une omission à agir , légiférer . Le Parlement a obligation de légiférer , comme le juge ( ordinaire), de juger. L’hypothèse du silence de la loi est d’ailleurs problèmatique pour ces deux institutions ». ( GALLETTI, op.cit. page 404).

Il est donc justement demandé au Tribunal de céans de relever que dans son omission à statuer sur les voies de recours et spécialement sur le recours en révision, le Législateur organique du 22 décembre 1958 n’a pas épuisé sa compétence—- tant au regard de l’article 64 de la Constitution que de l’article 16 de la Déclaration des droits du 26 août 1789 qui garantissent le respect des principes du procès équitable et la poursuite de l’objectif de bonne administration de la justice—–et qu’il y a bien dans cette omission un compétence négative qui justifie la saisine du Conseil Constitutionnel après renvoi devant la Cour de Cassation.

Par ces Motifs,

Plaise au Tribunal,

Ordonner la transmission de la présente QPC à la Cour de Cassation. 

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