Paris le 16 avril 2023
Jacques BIDALOU
Magistrat honoraire
M. le Président de la Section du Contentieux
Juge des référés du Conseil d’Etat
OBJET : Référé –liberté ( a . L 521-2 du CJA)
L’Histoire dira si dans les temps troubles qui viennent d’agiter la France, le Conseil Constitutionnel aura été , dans l’exercice de l’un de ses pouvoirs, le Défenseur intrépide de l’Etat-de-Droit ou le Fossoyeur téméraire de la République.
Mais en tout état de cause, dès à présent, c’est au Juge des référés
du Conseil d’Etat, qu’il appartient de statuer d’urgence pour dire et juger si le Conseil Constitutionnel, personne morale de droit public , n’a pas porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale dont la sauvegarde impose aujourd’hui de prendre des mesures nécessaires, dès lors qu’il s’abstient, et continue de s’abstenir effrontément , sur la requête portant saisine directe du Conseil Constitutionnel que le requérant a régulièrement formé et déposé au greffe le 3 juillet 2021 en application de l’article 23-7 de l’ordonnance 58-1067.
Dans cette requête du 3 juillet 2021, le requérant a commencé par rappeler comment après la révocation de ses fonctions de juge d’instance d’Hayange prononcé le 8 février 1981 par le Conseil Supérieur de la Magistrature, il a du combattre l’arrêt rendu le 7 février 2008 par la Cour d’appel de Versailles, sur des motifs ineptes, et ce au terme d’un délai de 26 années de déni de justice , avant de se trouver renvoyé à l’obligation de former appel d’un jugement du 28 janvier 2015 du TGI de Paris.
Puis il a rapporté la procédure suivie devant la Cour d’appel de Paris , marquée par une ordonnance intermédiaire du 18 avril 2017 portant refus de communication de pièces , et par un arrêt du 27 septembre 2017 jugeant qu’il n’y avait pas lieu à transmission de la QPC qu’il avait soulevée en la cause, pour finalement aboutir à l’ arrêt sur le fond prononcé le 23 janvier 2018 par la Cour d’appel de Paris sous la présidence soudaine du président Christian HOURS.
Elle rappelle qu’à l’occasion du pourvoi en cassation qu’il a formé le 4 mai 2018 contre un arrêt de la Cour d’appel ayant condamné l’agent judiciaire de l’Etat à lui payer une certaine somme à titre de dommages-intérêts, M. BIDALOU a, par mémoire distinct et motivé du même jour, présenté une question prioritaire de constitutionnalité.
L’arrêt rapporte alors les termes de cette QPC avant de mettre en cause sa recevabilité pour répliquer :
« La même question a déjà été posée dans la même affaire selon un mémoire du 14 décembre 2017 par le même requérant, contestant les mêmes dispositions législatives et invoquant les mêmes griefs »
Et l’arrêt précise donc :
« Par arrêt du 15 février 2018 ( 2ème Civil , 15 février 2018, pourvoi n. 18-60 031) , la Cour de Cassation a dit n’y avoir lieu de renvoyer cette question au Conseil Constitutionnel. La question est dès lors irrecevable.
La Cour de Cassation s’est ensuite interrogée sur « la recevabilité du pourvoi, contestée par la défense » :
« Vu l’article 973 du code de procédure civile
Devant la Cour de Cassation, les parties sont tenues, sauf dispositions contraires, de constituer avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de Cassation
Par conséquent, en l’absence de disposition spéciale dispensant du ministère d’un tel avocat dans la matière considérée, le pourvoi, formé sans la constitution d’un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, n’est pas recevable »
C’est dans ces conditions que l’arrêt établit son dispositif :
« Par ces Motifs, la Cour
Déclare irrecevable la QPC
Déclare irrecevable le pourvoi
Condamne M. BIDALOU aux dépens
Rejette la demande de l’Agent Judiciaire de l’Etat ( sur l’a.700)
Ce qu’il faut néanmoins affirmer avec vigueur, c’est qu’un tel arrêt d’une Cour Suprême ne peut à l’évidence que relever d’une juridiction dévoyée dans une véritable indignité nationale !
Il n’y a pas lieu d’insister ici sur les motifs retenus ici pour justifier l’irrecevabilité de la QPC— à supposer qu’il s’agisse d’une question précédemment posée, tant que n’est pas opposée une précédente décision prononcée par le Conseil Constitutionnel , le droit de soulever une QPC reste intact !
Il n’y a pas lieu d’insister non plus sur les motifs retenus pour justifier l’irrecevabilité du pourvoi— alors même que l’arrêt du 15 février 2018 précédemment rendu par la Cour de Cassation n’emporte aucune autorité de chose jugée sur ce que devra juger la Cour de Cassation dans son arrêt du 21 juin 2021 !
Mais le scandale qu’il faut considérer c’est le sort réservé au Rapport de 24 pages en tous points exemplaires, établi par
le Conseiller-Rapporteur Cyril CARDINI , qui au terme de son travail a lumineusement proposé 3 projets !
Ce Rapport a été écarté dans les débats de l’audience publique du 21 juin 2021 et c’est la Conseiller Doyen Mme MARTINET qui a présenté alors un rapport frelaté et délabré !
Et ce n’est qu’au lendemain de cette audience du 21 juin 2021 que le requérant Jacques BIDALOU aura pu recevoir connaissance de ce Rapport CARDINI…posté par LRAR du 8 juin 2021 ( !) et qui m’autorisait à présenter mes éventuelles observations avant le 14 juin 2021 ( !!)
Au demeurant ce Rapport fait état de la « constitution en défense de l’agent judiciaire de l’Etat » du 29 avril 2021, du « mémoire en défense » reçu le 26 mai 2021 avec les « observations en défense sur QPC » reçues le 26 mai 2021, mais ces pièces de procédure établies par l’Agent Judiciaire de l’Etat ne m’ont jamais été communiquées, en violation flagrante du principe du contradictoire !
Il demeure que le Conseiller-Rapporteur CARDINI n’a pu qu’assister impuissant à la dissimulation de son excellent Rapport… où il s’interrogeait notamment sur « le délai de traitement de la QPC, au regard des articles 23-5 et 23-7 de l’ordonnance n. 58-1067 du 7 novembre 1958 » !
Le Rapporteur avait alors relevé qu’en l’occurrence, il résulte des pièces de la procédure que M. BIDALOU a formé personnellement un pourvoi reçu le 4 mai 2018, ainsi qu’il résulte du tampon apposé sur la déclaration de pourvoi en date du 26 avril 2018, et que figure par ailleurs au dossier un « « mémoire distinct et motivé portant QPC », également daté du 26 avril 2018.
Et le Conseiller-Rapporteur CARDINI notait alors :
« L’affaire a été enregistrée le 19 mars 2021 et le dossier transmis à la deuxième chambre civile le 29 mars 2021.
Au vu de ces éléments, le délai de trois mois prévu à l’article 23-5 apparaît dépassé » .
Sic !
Pour ne pas avoir à s’interroger sur le délai de traitement de la QPC soulevée devant lui et l’application évidente de l’article 23-7, il fallait que l’arrêt du 21 juin 2021 élimine le rapport CARDINI et qu’il soit donc livré à la forfaiture des juges.
Il faut d’ailleurs noter ici que dans son Rapport le Conseiller-Rapporteur CARDINI avait pris soin de déployer toute sa rigueur juridique sur la question sur l’irrecevabilité de la QPC du 26 avril 2018 prétendue identique à la QPC du 14 décembre 2017 !
Et sur l’obligation de constituer avocat aux Conseils qui devrait s’imposer au magistrat même en l’absence de toute disposition statutaire, le Conseiller Cyril CARDINI a même pu rapporter ( note 15 page 11) une précieuse indication relative à cette question, qu’il a trouvée sur le site internet du Conseil d’Etat !
Il reste en tout cas constant que dès lors que le délai de trois mois était dépassé, la QPC en cause se trouve renvoyée automatiquement au Conseil Constitutionnel, sans qu’il y ait lieu a priori de contrôler au préalable la réunion des conditions prévues aux articles 23-2 et 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958, et c’est à bon droit que le Conseiller CARDINI ( page 4 de son Rapport) renvoie aux explications de Marc GUILLAUME ( in Répertoire de contentieux administratif Dalloz, QPC, avril 2019, n. 309) :
« a. 309 : L’article 61-1 de la Constitution prévoit que le Conseil d’Etat ou la Cour de Cassation se prononce «dans un délai déterminé ». Cette précision avait, lors de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, été ajoutée par amendement de M. WARSMANN. Cette précision implique une sanction de non-respect du délai de trois mois. C’est ce que fait l’article 23-7 en prévoyant la transmission automatique de la QPC au Conseil Constitutionnel au terme du délai de trois mois si le Conseil d’Etat ou la Cour de cassation ne s’est pas prononcé. Cette transmission s’opère de greffe à greffe. Cette disposition n’a joué que quatre fois ( n. 2011-206 ; 2012-283 ; 2013-363 ; 2018-729) »
ET SUR CE
Peut-être est-il venu le temps où dans la bourrasque des évènements, il convient de veiller sérieusement à la solidité des institutions fondamentales, et de préserver en conséquence la pleine cohérence de l’Etat-de-Droit.
Il n’est pas admissible que le Cour de Cassation se soit abandonnée à la démolition des ses rouages les plus assurés , et d’avoir ainsi accepté l’escamotage frauduleux d’un Rapport aussi consciencieusement établi que le Rapport du Conseiller Cyril CARDINI pour ainsi faire prévaloir la Cour de Cassation sur le Conseil Constitutionnel et prendre le risque d’amener encore davantage le discrédit sur cette haute institution aujourd’hui si crucialement mise en cause vers des rivages dangereux.
C’est pourquoi le requérant a saisi le juge des référés du Conseil d’Etat pour restaurer la compétence bafouée du Conseil Constitutionnel et qu’il soit donc jugé que les dispositions de l’article 23-7 de l’ordonnance 58-1267 du 7 novembre 1958 ne peuvent que retrouver en la présente cause leur application.
S’agissant en la cause de la liberté fondamentale de pouvoir bénéficier de l’exécution d’une décision de justice proprement constitutive de l’Etat-de-droit , il échet donc, sur le fondement de l’article L 521-2 du C.A.J., d’ordonner la mesure nécessaire de sauvegarde de cette la liberté et de prononcer dès lors le renvoi automatique au Conseil Constitutionnel, par transmission s’opérant de greffe à greffe, de la Question Prioritaire de Constitutionnalité formée le 26 avril 2018 par le requérant :
« Dès lors que le magistrat est dans une situation statutaire, telle que définie par le législateur organique dans l’ordonnance n° 58-1270 et qu’en l’absence de dispositions dans cette ordonnance statutaire, rien ne se trouve statutairement prévu sur les voies de recours et les conditions d’exercice de ces voies de recours, qui permettent justement au magistrat d’assurer en justice laP garantie de ses droits statutaires, n’y a-t-il pas dans cette carence du législateur organique une incompétence négative avec les droits et libertés constitutionnelles garantis par la Constitution– spécialement l’article 64 de la Constitution ( qui consacre l’indépendance de la justice), l’article 26 de la Déclaration des droits du 26 août 1789 ( sur lequel le Conseil Constitutionnel a fondé l’exigence du droit de recours effectif à la protection juridictionnelle) et le droit au procès équitable ( exigence générale d’ordre constitutionnel qui ne saurait bien évidemment se limiter aux applications jurisprudentielles de l’article 6-1 de la Convention européenne)—qui délivre le magistrat agissant en justice pour la défense de ses droits statutaires à agir sans représentation obligatoire ? »
Par ces motifs
Plaise à M. le Président, juge des référés
Fixer l’audience des débats contradictoires
Statuer ce que de droit en déclarant pour ordre le renvoi automatique au Conseil Constitutionnel, par transmission opérée de greffe à greffe, de la QPC dont s’agit.
Et ce sera justice .
Pièces jointes :
- Saisine directe du Conseil Constitutionnel , 3 juillet 2021
- Arrêt Cass. Civ. du 15 février 2018
- Arrêt Cass. Civ. du 21 juin 2021
- Rapport du Conseiller-Rapporteur Cyril CARDINI